Le risque zéro n’existe pas en montagne.
Mais il y a des personnes dont le métier est de diminuer les risques pour que nous puissions profiter de nos sorties. Sans eux, pas de station, juste la montagne et son lot de surprises. Le service des pistes a toujours tout mis en place pour vous, de la préparation du domaine aux secours, leur champ d’action est vaste. Aujourd’hui, vous allez découvrir Henri Thovex alias Riton, ancien pisteur secouriste de La Clusaz. Riton, il en a vu passer de nombreuses évolutions dans son métier et il a décidé de nous raconter son expérience et plus particulièrement avec les avalanches.
Riton, c’est mon surnom. Depuis que je suis tout petit, on m’a toujours appelé comme ça. J’ai commencé le métier de pisteur à l’Étale il y a très longtemps, en 1976/77, et après j’étais à Balme.
Pourquoi pisteur ?
Alors je vous explique, j’ai travaillé un peu à l’école de ski pour Noël 1976. À l’époque, j’avais les premiers diplômes mais l’enseignement ne me plaisait pas. J’ai donc passé mon premier diplôme de pisteur entre-temps. Donc, je suis allé voir Serge Pollet-Villard, qui était le directeur du service des pistes, et il m’a dit : “Bah écoutez, on va vous prendre dans l’équipe.” Et puis j’ai fait toute ma carrière là-bas jusqu’en 2018.
Chaque pisteur a une relation spéciale avec le ski, et vous n’y échappez pas. Pouvez-vous nous dire comment cette passion a démarré ?
Je suis un fou de ski. J’adore le ski, je suis né avec ! Étant jeune, j’ai fait du saut à ski. Il y avait une section au Club des Sports, et au niveau de la télécabine de Beauregard et la patinoire, il y avait un tremplin. Je l’ai sauté
et j’ai battu le record du tremplin très jeune. D’ailleurs quand j’étais ado, en 1973 ou 74, j’étais à la messe avec mon papa et tout à coup, le prêtre qui était en plein sermon, parle du jeune qui a battu le record du tremplin. C’était moi ! Je suis devenu tout rouge, mon papa me tapait en disant “On parle de toi !”. J’ai fait du saut à ski pendant 2 saisons d’hiver et après la section a été arrêtée parce qu’il n’y avait pas assez d’entrain. Le ski alpin est arrivé tout doucement au début des années 80 et le ski artistique un peu après, avec Grospiron notamment. On a
d’ailleurs eu plusieurs coupes du monde de ski artistique ici ! Enfin bref, j’ai fait ma carrière au service des pistes l’hiver et l’été j’ai travaillé dans le BTP jusqu’au moment où j’ai monté ma petite société d’espaces verts au début des années 90 et jusqu’à fin 2018, puis j’ai pris ma retraite et mon fils a pris le relais.
Un aspect du métier de pisteur consiste à gérer les avalanches sur le domaine. Dans ce secteur, les évolutions ont été nombreuses au fil des années. Aujourd’hui, les déclenchements d’avalanche sont rapides. Mais à l’époque, avant les Gazex, c’était une autre histoire non ?
Ah, les avalanches… Ce qu’on voit actuellement, ce sont des mini-mini-mini avalanches. Mis à part celle d’avril 2024. Elle a quand même traversé Crintiaux et Bergerie. Là, on commence à parler d’avalanche ! Avant, les avalanches partaient du sommet de Balme là-haut, et elles allaient jusque dans le plat de l’Étrive ! Le secteur de Balme restait régulièrement fermé à cause des risques d’avalanche parce que nous n’avions pas les moyens qu’il y a actuellement. On n’avait pas d’hélicoptère, on montait à pied, on prenait des risques énormes. Ça restait parfois fermé 8 à 10 jours. On ne voyait personne. Puis, il y a eu l’arrivée de l’hélicoptère car le chef des pistes avait des connaissances dans la sécurité civile. On a commencé à monter avec eux sur les crêtes et par gravité, on faisait le déclenchement d’avalanche. On nous montait à Pointe, on descendait et on canardait.
C’était la première avancée dans ce milieu, La Clusaz faisait partie des premières stations françaises à bénéficier de cet avantage ?
Les premiers avec Chamonix, oui ! Et, un autre point important est que le tout premier Catex, qui doit dater de 73 ou 74, a été conçu par deux personnes de La Clusaz. C’était le premier en France ! Moi, je l’ai piloté quand je commençais à l’Étale. Quand il ne faisait pas très beau et que c’était humide, c’était délicat à démarrer avec les anciens moteurs.
On a entendu parler d’une sorte de canon qui lance des flèches aussi !
C’est l’Avalancheur. Il est toujours là mais il n’est plus en activité. C’était conçu par une société qui faisait des feux d’artifice. C’est une sphère qui est remplie d’azote et avec à la compression de la sphère, une flèche partait. C’était le deuxième en France après La Plagne. Tout au début, il était posé sur un bout de table ! Par gravité, la flèche rentrait dans le manteau neigeux, dès que ça bloquait dans le manteau ça déclenchait la chaîne pyrotechnique. C’était de l’explosif liquide qui était dans une flèche, on faisait un mélange de liquide, c’était un truc de fou ! Il fallait y être très tôt le matin pour commencer à faire des tirs à 10h. On n’était pas pressé à l’époque ! Ça a été une très très bonne révolution au niveau du déclenchement, surtout pour nous, parce que nous montions à pied et souvent de nuit.
Vous nous parliez des Catex ou Câble Transporteur d’Explosif. Celui de l’Étale était le premier de La Clusaz mais Balme avait également le sien.
En 1983/84, on installait le Catex de Balme. Pour la petite anecdote, on a eu un problème pendant l’installation. On déroulait le câble sous l’hélicoptère, mais arrivé au pylône le plus haut, il n’y avait plus de câble dans la bobine ! J’ai appelé Serge pour comprendre la situation et, en bas, ils avaient mal fixé le câble, donc il ne pouvait pas être posé ce jour-là. On a dû recommencer le lendemain, mais il y avait une grosse tempête de neige. Le pilote a insisté pour qu’on y aille, mais le brouillard est arrivé au sommet en même temps que nous. On était cinq à bord : le pilote, le chef de piste, Joël Collomb-Patton, Jean-Luc Laborde et moi. Dans le cockpit, c’était la panique. Joël a ouvert la porte et il a enlevé la buée pour le pilote, mais quand le pilote a su qu’il y avait une ligne haute tension dans le secteur, il s’est mis à grelotter. Heureusement, on a trouvé une trouée dans le brouillard et on a pu se poser un peu plus bas sur une ancienne piste de Balme. On a poussé un grand ouf de soulagement et on a été boire l’apéritif très fort ! On a oublié le monde pendant un petit moment. On a failli se tuer tous les cinq. Après ça, on a réussi à mettre le Catex et ça a vachement fait évoluer le déclenchement d’avalanche sur le secteur de Balme.
De nos jours, une bonne partie du déclenchement dépend des gazex conçus dans les années 90, mais concrètement c’est quoi les gazex ?
Oui, donc ça ce sont les gros tubes qu’on voit dans les falaises. Il y en a à l’Aiguille, à l’Étale et à Balme. C’est tiré depuis le poste central du service des pistes, par le directeur ou son adjoint qui déclenche à toute heure, à la demande du service de damage et des chefs de secteur, et tout ça en charentaises ! Une énorme révolution. D’ailleurs, il y en a partout maintenant et ils les utilisent beaucoup aussi pour sécuriser les routes départementales en montagne.
On dit souvent que les avalanches étaient bien plus spectaculaires avant. Du coup on voulait vérifier avec vous ! Pouvez-vous nous raconter la plus impressionnante que vous ayez vue ?
C’est quand j’étais à la Grande Balme. La sécurité civile nous avait posé là où il y a maintenant le Gazex 5 et on a mis une charge. À l’époque, c’était des charges un peu comme on voyait dans les films, c’était attaché avec une chambre à air, donc il fallait que ça soit bien attaché. Ce coup-ci, on a déclenché la plaque qui était au-dessus de la falaise et c’est parti jusqu’à l’Étrivaz. C’était un truc de fou ! Heureusement, le téléski est resté debout. Mais en 78, une avalanche avait ramassé le téléski en bas. Maintenant, elles sont moins grosses mais ce n’est pas pour autant qu’il faut aller en dehors des pistes parce qu’une petite avalanche est aussi meurtrière qu’une grosse.
Au service des pistes, vous ne gérez pas uniquement les avalanches. Vous agissez sur d’autres secteurs comme le secours. Ce milieu a également dû beaucoup évoluer ces dernières années ?
Quand je suis rentré au service des pistes, on était 10 ou 11 pisteurs. Je crois que maintenant, avec le secrétariat, ils doivent être 40 ou 45. Tout le domaine skiable a changé, les infrastructures des remontées mécaniques ont un débit triple, voir quadruple maintenant.. Les pistes sont plus grandes, il y a donc beaucoup plus d’accidents. Auparavant, on ramassait des fractures pour lesquelles on utilisait des attelles qui étaient fabriquées par les artisans de chez nous. Maintenant, les fractures sont plus rares. C’est beaucoup de genoux, ligaments, luxations de l’épaule et poignets pour les snowboardeurs.
Vous avez dû adapter les pistes en fonction de la fréquentation.
L’évolution a été énorme depuis les années 90, on est monté en pression. Les remontées mécaniques ont évolué très vite. Au début des années 2000, on a eu la liaison Balme – Fernuy. Tout a été remodelé sur l’Étale entre le télémix et le Belvédère. À Beauregard, le téléphérique a été changé. Quand on monte du monde en haut des remontées, il faut que les pistes soient adaptées à la fréquentation, autrement c’est accidentogène aux premiers 200 mètres.
La montagne est un univers où le risque est toujours présent mais maîtrisé grâce à des professionnels dévoués comme Riton. Cet ancien pisteur a vu l’évolution nécessaire pour assurer la sécurité des skieurs. De la gestion des avalanches avec des moyens rudimentaires à l’utilisation des technologies modernes comme les Gazexs, chaque aspect de son métier a changé au fil des années.
Mais si c’était vous le pisteur, à quelle époque auriez-vous préféré travailler ? Plutôt randonnée sous les corniches, tireur de flèches explosives ou charentaises au poste de commande ?