Architecte : un sport de combat ? C’est le titre du mémoire de fin d’études de Marion. Depuis près de 12 ans, elle et Joseph conçoivent leur métier comme un subtile dosage entre liberté et contraintes. Leur objectif : concilier tradition et modernité, questionner l’architecture de montagne, explorer de nouveaux territoires d’expression tout en préservant l’esthétique de station-village qui fait la réputation de La Clusaz.
Comment êtes-vous devenus architectes ?
Marion – Je viens d’une famille de constructeurs de chalets. Mon grand-père a démarré par la rénovation avant de fonder les Chalets Vittupier. Mon père a suivi pour développer le chalet clé en main et travaille aujourd’hui avec mes frères, menuisiers-charpentiers de formation. Mon enfance a été bercée par l’odeur du bois, les plans dessinés à la main et transformés en cahiers de coloriage. Adolescente, j’ai pensé devenir styliste. Un jour, mon prof d’arts plastiques m’a lancé : « Ton père n’est pas Jean-Paul Gaultier ! » Je suis entrée à l’école d’architecture de Grenoble et j’ai vécu un an à Sao Paulo pour mon master. J’ai adoré le grain de folie du Brésil. J’ai même failli y vivre.
Joseph – Mon premier contact avec l’architecture a été « La maison sur la cascade » de Frank Lloyd Wright. J’ai été séduit par l’égale force déployée, et la superposition de l’œuvre de la nature et l’œuvre de l’homme. Comme une interdépendance entre les deux, comme si l’homme et la nature s’étaient influencés mutuellement. Mon parcours est assez classique. Je suis passé par deux écoles d’architecture, L’ENSACF (Clermont-Ferrand) puis L’ENSAG (Grenoble). Mais, je pense que je deviens encore architecte aujourd’hui, et j’espère que cela ne s’arrêtera pas. Je trouve cette profession parfaite pour assouvir ma curiosité. Je suis heureux de partager ce besoin avec toutes les professions annexes à mon métier, les ingénieurs, les techniciens, les artisans. Et aussi les maîtres d’ouvrage qui ont eux aussi des expériences et des visions du monde très diverses. J’apprends chaque jour !
Pourquoi avoir décidé d’installer votre agence à La Clusaz ?
Marion – Parce que La Clusaz, c’est sacré. Je suis très attachée à mon terreau familial et nous avons une qualité de vie inégalable ici. Au-delà de cet ancrage, je voulais promouvoir une architecture traditionnelle et moderne dans ce contexte paradoxal qu’est la station-village. Nous cherchons en permanence des solutions pour gérer la dualité entre vie de village et effervescence touristique, habitations principales et saisonnières, mais aussi la réduction des espaces constructibles, les mises aux normes ou le coût du mètre carré.
Joseph – C’est avant tout une rencontre avec Marion Vittupier, fille du pays et architecte. Nous nous sommes trouvés à l’école d’architecture de Grenoble. A la suite de nos parcours respectifs, après l’école et des expériences diverses sur Lyon et Paris, je crois que nous avions tous les deux besoins d’être connectés à un territoire plutôt qu’à une ville. Le retour pour Marion et l’arrivée pour moi à La Clusaz ont été une vraie bouffée d’air.
Quels autres défis vous intéressent ?
Marion – Les enjeux environnementaux et les apports énergétiques. L’évolution des techniques et des matériaux isolants permet de s’affranchir des contraintes de nos anciens. Ils construisaient les pièces de vie près de l’étable pour profiter de la chaleur des bêtes, ou faisaient de petites ouvertures pour se protéger du froid. Si le respect du patrimoine local est très fort à La Clusaz, on peut malgré tout le questionner. Qu’est-ce qu’un chalet ou une habitation aujourd’hui ? Nous essayons à travers l’agence de participer à cette réflexion.
Joseph – L’enjeu majeur est de faire coïncider notre vision du monde qui nous entourent aux objectifs de nos clients. C’est à la fois de l’écoute et de la pédagogie. C’est travailler avec l’échelle du paysage et celle du corps. Concevoir et suivre la réalisation d’un projet est un défi qui se réinvente pour chaque ouvrage, et pour chaque maître d’ouvrage. C’est de tisser avec le réel qui nous motive le plus. Nous composons autant avec des données concrètes qu’avec la sensibilité et les émotions de chacun.
Quels autres défis vous intéressent ?
Marion – Les enjeux environnementaux et les apports énergétiques. L’évolution des techniques et des matériaux isolants permet de s’affranchir des contraintes de nos anciens. Ils construisaient les pièces de vie près de l’étable pour profiter de la chaleur des bêtes, ou faisaient de petites ouvertures pour se protéger du froid. Si le respect du patrimoine local est très fort à La Clusaz, on peut malgré tout le questionner. Qu’est-ce qu’un chalet ou une habitation aujourd’hui ? Nous essayons à travers l’agence de participer à cette réflexion.
Joseph – L’enjeu majeur est de faire coïncider notre vision du monde qui nous entourent aux objectifs de nos clients. C’est à la fois de l’écoute et de la pédagogie. C’est travailler avec l’échelle du paysage et celle du corps. Concevoir et suivre la réalisation d’un projet est un défi qui se réinvente pour chaque ouvrage, et pour chaque maître d’ouvrage. C’est de tisser avec le réel qui nous motive le plus. Nous composons autant avec des données concrètes qu’avec la sensibilité et les émotions de chacun
Vous défendez également l’utilisation de matériaux plus responsables !
Marion – Oui, nous misons sur le bois local et les filières courtes pour revenir aux constructions d’autrefois, avec des matériaux bio-sourcés, des pièces coupées et taillées sur place. Les constructions en vieux bois et en mélèze sont magnifiques, certes, mais les bois viennent souvent d’Europe de l’Est ou du Canada, où le bois de vieilles granges est démonté puis acheminé jusqu’ici. Pour réduire notre impact, nous disposons d’une excellente filière bois dans le Jura, les Vosges et même à La Clusaz, avec des résineux comme le sapin, l’épicéa ou le douglas.
Joseph – Il y a une dizaine d’années lorsque nous avons débuté, notre région avait un train d’avance sur les performances thermiques, dû à notre climat. C’était confortable et gratifiant. Nous sommes responsables des matériaux que nous mettons en œuvre et cela sur 10 ans, même si leur impact influe sur une période plus longue. En tant qu’architecte, nous veillons à la stabilité, la durabilité et l’intégration des ouvrages que nous concevons. Nous avons la chance d’avoir une scierie active sur La Clusaz. Et quand ce n’est pas local, c’est au plus proche que nous cherchons. C’est une question qui est constamment posée aux artisans et fournisseurs avec lesquels nous travaillons. Eux aussi y sont très sensibles !
Nous sommes parfois face à une difficulté : sortir des matériaux et techniques de fabrication traditionnels. Évidemment, le béton est une matière toujours présente dans les parties enterrées de nos constructions. Nous avons donc souvent besoin d’acteurs extérieurs, à la fois pour nous sensibiliser davantage, mais surtout pour nous apporter d’autres façons de faire et d’autres visions. Un exemple typique est la notion de réemploi des matériaux. Nous y sommes sensibles et favorables, mais nous n’arrivons que partiellement à le mettre en œuvre dans nos projets. Lorsque que nous faisons des rénovations, nous essayons de récupérer au maximum. Les fermes de La Clusaz étaient déjà il y a plus d’un siècle un bel exemple de réemploi ! Je suis convaincu que c’est collectivement que nous arriverons à généraliser des pratiques qui ne sont pas encore assez répandues ici.
Au milieu de tous ces enjeux, comment concevez-vous votre métier d’architecte ?
Marion – Nous devons innover pour dépasser les contraintes et concevoir des espaces heureux. Je vois l’habitat comme un prolongement du corps, avec des espaces optimisés, faciles à vivre, qui minimisent les circulations. Les cloisons deviennent des meubles, les planchers des tiroirs. Nous créons un endroit en mélangeant les besoins des clients, leurs goûts, leurs envies, leur budget… Un peu comme un peintre avec sa palette de couleurs. Je ne défends pas un style particulier, car chaque projet est une création.
Joseph – Aujourd’hui, l’éco responsabilité et la conscience environnementale sont des notions vastes et déstabilisantes. Or, notre profession s’inspire d’autres domaines en la matière et se réinvente presque à chaque projet. Nous questionnons à chaque fois le contexte et les limites du cadre de nos projets, tant sur ces limites géographiques que sur le cadre règlementaire. La technique occupe une place importante (stabilité des sols, risque naturel, structure…) et, en se reposant inlassablement les mêmes questions, nous cherchons à être au plus juste, de la réalité construite de nos bâtiments, de leurs usages et de leur impact. Cet impact est environnemental, il est visuel, et souvent social au regard des enjeux d’une commune comme celle de La Clusaz. Nous n’avons pas la solution mais des solutions…
Selon vous, quelles sont les tendances dans l’architecture intérieure et la décoration ?
Marion – Allier intimité et convivialité, grands volumes et endroits cocons pour s’isoler. Le télétravail étant devenu courant, on transforme une pièce ou même un placard en bureau. Côté décoration, on rompt avec les intérieurs chargés pour un style plus épuré, avec des papiers peints, des peintures, des tons sobres et des matériaux bruts. On détourne aussi des éléments d’origine : les solarets sont utilisés pour protéger du vis-à-vis et créer des jeux de lumière, ou pour séparer les pièces. Les mangeoires des fermes sont travaillées en range-chaussures, les planches de la grange deviennent des têtes de lit, et les morceaux de madriers, des marches d’escaliers. La tendance est au réemploi.
Joseph – Cela semble bateau, mais le traitement d’une vieille ferme ne sera pas le même si elle se trouve en plein village ou en alpage. Les projets diffèrent en fonction de ce que notre client recherche. Authenticité, moderne, confort… c’est avec ces fils que nous tissons nos projets. Mais pour répondre quand même à la question, il y a aujourd’hui une recherche d’authenticité et de simplicité.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Marion – Elles sont multiples ! Voyager, arpenter des villes comme Londres pour son effervescence incroyable avec ses poches de créateurs, ses quartiers underground et décalés où les tendances sont en train d’émerger. L’inspiration peut venir de partout : une exposition dans un musée, un graff sur un mur et même une balade en montagne où le détail d’une vieille ferme va nous donner une idée. Je me nourris au quotidien de ce que je vois, j’entends, je lis, des rencontres ou des échanges avec nos clients.
Joseph – Notre environnement principalement. Nous sentons aujourd’hui que nous ne nous étions pas trompés. Nous appartenons à ce territoire, à ce village et nous en sommes fiers. Nous sommes aussi heureux de pouvoir y apporter notre vision, notre expertise. Nous aimons faire bouger les lignes tout en nous inspirant du lieu de son histoire et de ses habitants.